Entretien avec Julie Hamiti
C'est quoi un rasta?
"Un Rastafari, à la base, c'est quelqu'un qui croit en la divinité d'Haile Selassie Ier, le dernier empereur d'Éthiopie (1930 à 1974). Il descend de la lignée du Roi Salomon et de la Reine de Saba. Un des leaders de la cause des noirs, Marcus Garvey (1887-1940) aurait annoncé en 1927: "Regardez vers l'Afrique, lorsqu’un homme noir sera couronné Roi, la déliverance sera proche".
Cette annonce se révèlera prophétique pour les Rasta, puisque Haïlé Sélassié Ier a été couronné en 1930, soit trois ans plus tard. L'empereur a été considéré comme le sauveur du peuple noir, à la tête d'un pays qui n'a jamais été colonisé. Les Rasta sont des grands croyants qui suivent l'Ancien testament. Dans la Bible, le peuple de Zion a été amené à Babylone. Pour eux, ça représente le peuple noir, qui a été déporté dans la Caraïbe pendant la traite négrière.
Rasta, c'est une religion?
Ce n'est pas une religion, c'est un mode de vie. C'est un mode de vie difficile, voire dangereux, à l'écart du reste de la population. Quand on porte des dreadlocks, c'est difficile de scolariser son enfant, de trouver du travail ou de louer un appartement.
À quoi ressemble leur mode de vie?
Ils suivent une vie de droiture. Ils sont vegans pour la plupart, ne mangent ni viande ni poisson. Ne boivent pas d'alcool. Ils étudient la Bible, en vivant loin de "Babylone". Babylone représente l'oppression. En Occident, cela représente nos sociétés capitalistes, matérialistes, ça peut représenter la police ou le gouvernement. Les Rasta habitent en communauté, à l'écart des villes. C'est un mode de vie inspirant, hors des grandes agglomérations, en harmonie avec la Nature. Après, tout le monde fait des concessions, même eux, c'est normal, ils ne sont pas complètement déconnectés du reste du monde.
Pourquoi avoir choisi ces pays, pour tourner?
La Jamaïque est le berceau du mouvement, l'Éthiopie aussi. Au Ghana, il y a une communauté Rasta très présente, forte du passage de Kwame Nkrumah à la présidence. Dans les Caraïbes, Il y a beaucoup de Rasta car les descendants d'esclaves sont en quête d'identité. La Dominique a même mis en place le "Dread Act" en 1974, une loi interdisant de porter cette coupe de cheveux. Les policiers tiraient à vue sur les gens qui portaient des dreadlocks ! Il y a eu des morts… Le gouvernement craignait un soulèvement de la population.
Qu'est-ce qui t'a motivée à réaliser ce documentaire?
Tout commence avec une rencontre. Au Sénégal, à Saly, j'ai discuté avec un homme qui m'a dit être Rasta. Pourtant, il n'avait pas de dreadlocks, il était sérieux, sportif… Je me suis alors rendue compte que j'avais beaucoup de clichés sur les Rasta. Ce sujet m'a passionnée. J'ai donc entrepris un tournage de huit mois au Ghana, en Éthiopie, Jamaïque, Dominique, Martinique et Sainte-Lucie. J'ai financé le voyage moi-même.
Tu es parvenue à t'intégrer?
Je ne prévenais pas de mon arrivée avant. Quand ils ont vu débarquer une femme blanche, qui ne fume pas, j'ai dû prouver que mes intentions étaient bonnes. J'ai noué des liens et les gens ont bien voulu se confier, ils m'ont raconté leur histoire, j'ai recueilli des témoignages touchants.
Ce documentaire, il s'adresse à quel public?
Je voudrais que ça touche tout le monde, même les gens qui ne connaissent pas le mouvement. Ce documentaire brise les clichés et permet de faire un parallèle avec nos vies, nos histoires.